Valeur d’usage et valeur d’échange de la marchandise

 

Une marchandise possède une valeur d’usage et une valeur d’échange.

 

1. La distinction entre valeur d’usage, ou utilité, et valeur d’échange, ou cherté, a été introduite dans la pensée économique par Adam Smith durant la seconde moitié du XVIIIe siècle.

 

Ce fut dans les termes suivants :

 

« Il faut observer que le mot valeur a deux significations différentes ; quelquefois, il signifie l’utilité d’un objet particulier, et quelquefois, il signifie la faculté que donne cet objet d’acheter d’autres marchandises. On peut appeler l’une valeur en usage et l’autre valeur en échange. »

 

« Des choses qui ont la plus grande valeur en usage n’ont souvent que peu ou point de valeur en échange. […] Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n’a presque aucune valeur quant à l’usage, mais on trouvera fréquemment à l’échanger contre une très grande quantité d’autres marchandises. »

 

2. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, survint la « révolution marginaliste ».

 

Les convaincus du bien-fondé du marginalisme ont une manière qui leur est propre de lire « les anciens auteurs » (professeur Jean Marchal). Sur le Paradoxe de l’eau et du diamant, voici ce qu’en a écrit dans les années 1990 le professeur Frédéric Teulon : 

 

« Ce paradoxe peut être expliqué, en utilisant le concept de rareté. L’eau est un bien vital, mais abondant, en conséquence l’utilité marginale qu’un individu tire de la consommation de la dernière quantité d’eau qu’il utilise est très faible. L’eau sera donc à la marge, faiblement valorisée, en dépit de son immense utilité en ce qui concerne la survie de l’espèce. »

 

Le bien-fondé du rejet par Adam Smith de l’attribution de la cherté à l’utilité est pourtant aisément vérifiable et largement vérifié. En le contournant par le subterfuge de l’utilité de la dernière quantité, le marginalisme ramène la rareté au rang de déterminant universel de la cherté et la « science » économique au sophisme : ce qui est rare est cher, ce qui est cher est rare.

 

3. C’est en contradiction avec Adam Smith puis David Ricardo jugeant que les quantités relatives de travail jouent un grand rôle en matière de cherté.

 

Dans le premier quart du XIXe siècle, David Ricardo endosse ce jugement, mais en excluant les marchandises qui sont définitivement ou temporairement rares, ainsi qu’en tenant compte de ce que certains économistes ont appelé « l’intensité capitalistique », susceptible d’être fort différente d’une production marchande à l’autre – celle de l’extraction de charbon et celle de paniers en osier ou de chaussures, par exemple.

 

4. En réalité et en situation de concurrence, les prix de l’eau au robinet ou en bouteille dépendent avant tout de coûts de production et de profits.

 

Ces coûts dépendent beaucoup eux-mêmes des quantités de travail, nouveau et passé. Les profits sont à une hauteur normale, variable dans le temps et l’espace, aux conditions exposées plus avant dans le présent traité. Ricardo affirme très clairement, dès les premiers paragraphes du chapitre 1 de ses Principes, qu’il n’existe pas de déterminant commun à toutes les marchandises de leurs valeurs d’échange. Une fois encore, c’est à cause de celles de ces marchandises qui sont rares — par distinction avec les autres qui, en plus grand nombre, sont « reproductibles à volonté par l’industrie humaine ».

 

5. Rien, hors de l’habitude qui en a été prise, ne permet de préjuger l’existence d’un déterminant universel des chertés.

 

Ce n’est qu’au terme de l’observation de la formation des prix dans chaque catégorie principale de marchandise qu’il devient de bonne méthode de se prononcer sur cette existence. Donc ex post et non ex-ante, faute de quoi est commise une pétition de principe par affirmation d’une existence dont il convient justement de démontrer que la pratique des échanges marchands l’établit. Aucune pétition de principe n’est scientifiquement acceptable. C’est l’une des raisons pour lesquelles la solution marginaliste au prétendu paradoxe de l’eau et du diamant est ascientifique. Comme il n’est pas possible de prouver que cette solution fait partie du réel instauré par la pratique des échanges marchands, c’est à l’inutilité de l’utilité marginale pour fonder une théorie générale des échanges économiques que la raison oblige à s’en tenir, jusqu’à l’éventuelle preuve ex post que les fonctions universelles attribuées à l’utilité marginale et à la rareté existent vraiment.

 

6. De cette dernière considération découle la raison pour laquelle la division de l’ensemble des services et des biens commerçables en sous-ensembles homogènes est un préalable irremplaçable.

 

Une théorie de la cherté économique qui ne prend pas appui sur ce préalable se condamne à être au moins en partie imaginaire. Or, bien évidemment, plus la théorie qui guide le choix d’une politique économique est irréaliste et moins cette politique se révèle adéquate une fois mise en œuvre.

 

7. En économie politique objective, l’expression « valeur d’échange » et le mot « prix » désignent très exactement le même rapport.

 

Ce rapport est celui de quantités échangées à titre marchand, l’usage de loin le plus commode et le plus répandu étant d’exprimer ce rapport par une quantité d’argent (de monnaie). Répétons-le, car le négliger tire en arrière : ce n’est pas juste après avoir posé la distinction entre deux sortes de valeur qu’il est possible d’instruire en assez bonne connaissance de cause la question de savoir si toutes les valeurs d’échange marchand ont ou n’ont pas davantage en commun que d’être des prix.

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